RÉPERTOIRE ALPHABÉTIQUE
DES BON-DIEUX-DE-PITIÉ,
ECCE HOMO ET OSSUAIRES.

 

Sauf notation contraire, les hauteurs des statues sont données socle compris. Les numéros des photos indiqués sont ceux des photographies de l'ouvrage original. Ces photos seront insérées progessivement.

1 • ABBEVILLE - Meurthe-et-Moselle • image

Pierre calcaire - hauteur 15 cm.

Ecce Homo, debout, un manteau sur les épaules, un roseau à la main.

Placé dans une niche extérieure s'ouvrant dans le côté droit de l'église, au niveau du sol de l'ancien cimetière. A la main gauche mutilée.

2 • AVILLERS - Meurthe-et-Moselle.• image

C'est le seul cas que nous avons rencontré où une Pietà, ou Vierge-de-Pitié, a joué le rôle de protectrice des morts. Les témoignages recueillis sur place sont formels : la Pietà actuellement sur l'autel de l'église était, il n'y a pas très longtemps, placée sur l'entablement que l'on voit encore sous un abri appuyé à deux contreforts, du côté extérieur gauche de l église (102). De fait, les dimensions sont compatibles, et le large arceau formant niche qui surmonte l'entablement encadrait exactement la statue (102). La petite statue féminine aux mains croisées sur la poitrine qu'"Études mosellanes" publie dans son N° 2, en couverture, aurait été posée sur l'épaisse colonne gothique du coin droit de l'édicule. Des restaurations en 1726 (portail) et en 1840 n'ont laissé de l'édifice médiéval que l'ossature du choeur, avec de départs de nervures sur colonnettes, et une jolie porte gothique entre la nef et le clocher. Un oculus a été muré dans le choeur mais reste visible sur le coté droit du chevet.

La présence d'un crâne et d'un fémur humain sculptés de part et d'autre de la Pietà (10-101) achève de confirmer sa destination, tout comme les têtes de mort de certains bon-dieux-de-pitié et de nombreuses crucifixion témoignaient de leur vocation mortuaire.

Malgré une jambe et un bras du Christ mutilés, cette Vierge-de-Pitié est une belle oeuvre réaliste, que l'on pourra utilement comparer à ses proches voisines de Briey, d'Étain Ligier-Richier), de Boulange, de Lommerange et de Beuvange-sous-Justemont.

Le problème reste de savoir quelle fut l'extension exacte de la Vierge-de-Pitié gardienne des morts et à quelles époques on peut en suivre l'évolution. Il semble que celle d'Avillers puisse se situer au 15e ou 16e siècle.

Peut-être des recherches plus approfondies diraient-elles dans quelle mesure il serait aventuré d'évoquer à propos de cette protection féminine des morts chrétiens de vieux rôle psychopompe des déesses-mères, des Matres, et des Epona gauloises ... Epona s'est bien perpétuée dans ses attributions secondaires de protectrice des chevaux à travers sa masculinisation chrétienne en St Eloi : pourquoi son vrai rôle, originel et fondamental, de protectrice des âmes par-delà la mort n'aurait-il pas perduré à travers la haute sainteté féminine de la Vierge Marie, si douloureusement et personnellement confrontée à la mort, et surtout en un pays qui a gardé si intense un véritable culte des morts ? Les croyances et pratiques mortuaires sont la filière qui explique nos vieilles religions et ce sont sans doute celles qui ont le mieux résisté aux changements de religion. Peut-être n'en verrons-nous pas tous les aspects si nous n'ajoutons aux problèmes de l'origine du rôle psychopompe du "bon-dieu-de-pitié", de l'origine des ossuaires et des reliquaires de crânes, le problème du rôle mortuaire de la Sainte Vierge, qui pourrait bien avoir été"protectrice des affligés"jusqu'en l'affliction dernière. Apparu à Avillers en un témoignage pour l'instant et pour nous unique, il importera de rechercher d'autres jalons de ce phénomène religieux. (Cf. développement des considérations dans "La religion des crânes en Lorraine ?", étude d'André Lepape in "Études mosellanes" n° 2) A.L. - (cf. post-scriptum page 39)

3 • AVIOTH - Meuse • image

Pierre - A environ trois mètres de hauteur sur un pilier du côté gauche de la basilique. Ecce Homo montrant le Christ près de Pilate, couvert d'un manteau et les mains liées. Oeuvre du XVIe siècle, avec Pilate dans le costume espagnol qu'explique l'hégémonie de Charles Quint.

4 • BAZAILLES - Meurthe-et-Moselle• image

Pierre calcaire - hauteur 133 cm

Conservé dans un oratoire gothique creusé dans le mur extérieur droit de l'église, qui est de souche romane et du type fortifié (un fût de colonne archaïque y a été déterré fort récemment (77). A gardé des épines en bois qui paraissent anciennes dans les trous prévus pour cet usage autour de la couronne. Assis sur un banc recouvert d'un manteau. Une partie des cordes qui le liaient est cassée. Son poteau de torture sert de pilier à une croix plantée à la sortie du village, route de Longwy. Un Christ d'une figuration presque identique, assis, mains croisées sur les genoux, se trouve en bordure de la route de Boismont (Longuyon) en pleines broussailles du fossé. Mais il a les mains libres et porte une robe ; des débris de personnages qui jonchent l'herbe à ses pieds indiquent qu'il s'agissait d'un groupe. Aux dire des gens du cru, c'était là une station de prière pour les pèlerins en route vers Notre-Dame-de-Luxembourg. Ce qui explique l'existence, non loin de là, à Mercy-le-Haut, d'un oratoire dédié justement à Notre-Dame-de-Luxembourg et qui mérite d'être visité à cause de son bel autel polychrome illustré d'une nativité à huit personnages de la meilleure venue (reproduit sur la couverture des "Études mosellanes" N° 2). Notons que le pèlerinage de Notre-Dame-de-Luxembourg a été fondé en 1627 par un jésuite de Thionville.

5 • BERTRANGE - Moselle• image

L'ossuaire semble être resté tel qu'autrefois, quand il servait aux morts, au fond du cimetière et à quelques mètres du chevet de l'église, seulement consolidé un peu par le ciment moderne. L'entablement montre, outre la date maladroitement gravée de 1696, une croix disposée exactement comme celle du socle du bon-dieu de Xivry. Là encore, la rareté des vestiges des ossuaires réclamerait qu'on en consacre le souvenir à autre chose qu'un dépôt de planches et de tôles. Ne serait-il pas possible également que les curés des paroisses où manifestement existait un ossuaire fassent des recherches sur le sort des "bons-dieux-de-pitié" disparus ?

6 • BEUVANGE-SOUS-JUSTEMONT - Moselle image

Pierre calcaire - hauteur 70 cm.

Dressé sur une petite place de la localité, c'est là, à notre connaissance, l'unique "dieu-piteux" de la région figurant sur un calvaire. Une Vierge-de-pitié, du même format, est sculptée au verso. Les deux phases du début et de la fin de la Passion sont ainsi étroitement associées. Le pilier de ce calvaire, non daté, porte un écusson illustré d'un hachoir et d'un couteau, emblèmes du donateur, un boucher.

7 • BONVILLERS (Mont-Bonvillers) - Meurthe-et-Moselle image

Pierre calcaire - hauteur : environ 120 cm. Assis sur un banc couvert d'un manteau.

De forme classique, mais de format réduit, visible au-dessus de l'entrée de l'église qui porte le millésime de 1758 ; apparemment gothiques, un ange et une vierge l'encadrent.

8 • BOUDREZY - Meurthe-et-Moselle image

Pierre calcaire - hauteur : 126 cm.

A trouvé place dans un oratoire accolé au chevet de l'église, du côté droit, et qui est plus ancien qu'elle. Frappe par l'expression gothique et exotique du visage : bouche étroite, pommettes saillantes et yeux peints en noir, dentition apparente. Tient la tête droite et a sa couronne curieusement, presque maladroitement posée sur le sommet du crâne. Quatre doigts d'une main sont cassés. L'extrémité des liens montre exceptionnellement quatre fils. Est encadré de cinq têtes de mort avec tibias, peints en noir sur le mur du fond. Il s'agit là sans nul doute de l'un des plus anciens Christ-aux-Liens que nous connaissions.

9 • BRIEY - Meurthe-et-Moselle image

Pierre calcaire - hauteur : 93 cm.

De format réduit et d'un type assez à part, mi Ecce-Homo avec le manteau qui couvre les épaules et drape tout le siège. Ses proportions heureuses et sa finesse d'exécution en font une oeuvre d'art agréable et rassurante à regarder, à côté de la rudesse d'exécution et du réalisme des autres "dieux-de-pitié".

10 • CATTENOM - Moselle • image

Adrien Printz a décrit page 23 cet ossuaire qui expose encore des monceaux d'ossements en désordre. La photo 93 a été prise il y a une douzaine d'années, avant la pose des grilles que l'on voit sur la photo 94.

11 • CHARENCY - Meurthe-et-Moselle image

Pierre calcaire - hauteur : 155 cm.

A été brisé en plusieurs endroits et restauré. Assis sur un siège recouvert d'un manteau. Massif et trapu, il trône sous un édifice ouvert sur trois côtés. Le plafond est à croisée de nervures plein-cintre ornée, en clé de voûte, d'une rare "lanterne des morts" en pierre (85). La façade est néo-classique, avec des médaillons à personnages Renaissance.

12 • GENAVILLE - Meurthe-et-Moselle • image

Pierre calcaire - hauteur : 137 cm, sur un socle important haut de 39 cm. Badigeon blanchâtre. Placé dans une niche ogivale à l'intérieur de l'église. D'après des témoignages locaux, était autrefois à l'extérieur. Brisé, le poteau de torture a été restauré.

13 • HATTONCHATEL - Meuse • image

Pierre calcaire - hauteur 63 cm. Posé sur le sol, dans le cloître accolé à l'église. Comme pour les autres statues voisines, la tête est cassée depuis longtemps.

14 • KANFEN-KEYBOURG - Moselle • image

Il existait encore avant la dernière guerre un "Dieu-Piteux" dans cette localité. Les paroissiens évacués en 1940, au début de la guerre, l'avaient emmené avec eux dans la Vienne, où il a disparu... (Ceux de Koenigsmacker n'eurent pas la même aventure, bien qu'ayant pris la même résolution).

15 • KEDANGE - Moselle image

Bois polychrome - hauteur : 130 cm.

Conservé dans un oratoire édifié en 1894, en bordure de la route Kédange-Hombourg ; porte sur son socle le millésime de 1655 ; peint en blanc et brun. N'a qu'un pied entravé, le droit, et a la tête déjetée en arrière. Pieds et mains abîmés

16 • KOENIGSMACKER - Moselle image

Pierre badigeonnée en blanc crème - hauteur : 140 cm.

Non daté, mais commandé à Trèves en 1570. Assis nu, sur un banc recouvert d'un manteau, pieds et mains entravés, diffère cependant par une facture quelque peu ostentatoire et "mondaine": le bras droit arrondi autour de la poitrine et la tête, appuyée sur la main gauche, levée vers le ciel. S'offre moins à la pitié qu'il ne pose pour l'adoration. Ce n'est qu'en 1741, lors de la reconstruction de l'actuelle église paroissiale, qui entraîna la suppression de l'ossuaire, qu'il fut transféré à la chapelle où nous le voyons.

Il n'est pas sans intérêt pour l'évolution de la mentalité ecclésiastique au XVIIIe siècle de noter qu'en 1752 un prêtre, "scandalisé par la quasi-nudité du Bon-Dieu-de-Pitié", réussit à faire interdire la chapelle par l'évêque. La protestation des habitants obtint la levée de cette mesure (abbé Schneider - Koenigsmacker - Histoire paroissiale - 1951). Ce "dieu-piteux", emmené par les paroissiens évacués en 1940, reprit par la suite sa place à l'ermitage St Roch.

17 • LOMMERANGE - Moselle image

Pierre polychrome - hauteur : 162 cm.

Certainement le plus représentatif de tous en sa polychromie apparemment originelle. Porte de surcroît sa date d'exécution : 1530, suivie des lettres I U E. Autre rareté, a conservé son roseau (long de 90 cm). Sur le siège, drap bleu à liseré d'or. La corde entravant les chevilles est brisée. La Vierge-de-pitié qui, naguère, tout en bleu, violet et blanc avec filets d'or, lui faisait pendant au fond de l'église, a été blanchie bien regrettablement et placée sur l'un des autels latéraux ; son gisant particulièrement expressif mesure 110 cm.

Le poteau de torture se trouve au cimetière où il sert, comme à Bazailles, de pilier à une croix. Il est illustré de verges, de fouets, d'une corde déroulée et d'une roue à douze rayons. A en croire la tradition, l'illustration de ces poteaux variait d'un Christ à l'autre : "On triomphait dans un village avec l'oreille de Malchus, les dés des soldats, les trente deniers de Judas parce que le village voisin ne les avait pas".

18 • MAIRY - Meurthe-et-Moselle image

Pierre calcaire - hauteur : 140 cm traces de polychromie.

Placé sous un péristyle Renaissance, à double entrée, accolé à une église romane extrêmement curieuse et intéressante, les bas-relief avec figuration de la mort qui ornent cette construction montrent qu'il s'agissait probablement de l'ossuaire (photos n° 89 à 92). L'entrée primitive de l'église n'était d'ailleurs pas à cet endroit et le précieux portail roman que l'on y voit viendrait de l'abbaye de St Pierremont, comme probablement les somptueuses portes que l'on voit à des maisons très modestes dans les villages entourant le site de l'abbaye détruite.

Se différencie surtout par le port droit de la tête, une barbe à deux pointes et la disposition des cordes qui, au lieu de tomber d'aplomb des poignets, sont tendues en diagonales vers la cheville droite. Il est du reste dit du XVe siècle dans l'inventaire des monuments classés.

19 • MALANCOURT - Moselle image

Pierre calcaire.

Il est poignant de voir les vestiges de ce "dieu-piteux" : une tête, très érodée, posée sur le banc encore recouvert du manteau coutumier, au bas duquel apparaissent deux pieds, un poteau de torture brisé, mais miraculeusement conservé entier... Le tout est exposé sur le côté droit de l'église, dans une sorte de niche à colonnes surmontée d'un Christ en croix, les pieds appuyés sur une tête de mort.

20 • MANCE - Meurthe-et-Moselle • image

Pierre calcaire - hauteur : 153 cm.

Siège recouvert d'un ample manteau. Exemplaire remarquablement conservé et mis en valeur par son emplacement privilégié dans l'église, au milieu du côté droit.

21 • MARANGE - Moselle image

Pierre calcaire - hauteur : 100 cm.

Encastré dans un mur du village (entre un garage et un escalier qui le surplombe), ce "dieu-piteux" offre la particularité d'avoir deux têtes de mort à ses pieds. D'une facture très particulière ; a la main droite brisée. Si l'on peut se réjouir de voir le Dieu-de-Pitié pour une fois au milieu des vivants, il est inquiétant de ne pas le savoir plus à l'abri, environné qu'il est de l'agitation des enfants du village. Cette effigie provient sans doute de l'ossuaire dont on voit encore, contre le flanc gauche de l'église, les colonnettes datées de 1616, qui mériteraient d'être mieux sauvegardées et mises en valeur, compte tenu de l'extrême rareté des ossuaires à peu près intacts, et de leur importance religieuse et historique essentielle.

22 • MARVILLE - Meuse image

Le cimetière Saint-Hilaire de Marville, son ossuaire, aux milliers de crânes rangés tels qu'ils l'étaient probablement partout autrefois, comme pour une sorte de jugement dernier d'allure militaire, l'hallucinant regard des yeux vides à travers les ouvertures des boites-reliquaires, les tombes étalées à travers plusieurs siècles, une pietà émouvante gardée par douze apôtres médiévaux, un "bon-dieu-de-pitié" taillé en athlète de la Renaissance, une vieille chapelle où se bousculent pêle-mêle stèles gallo-romaines et pierres tombales chrétiennes, autour d'aristocratiques gisants : toutes cette atmosphère ne se décrit pas et il faut se promener des heures sous les sapins de la vieille nécropole pour comprendre ce qu'était l'idée de la mort dans les siècles passés.

L'oratoire qui abrite le "bon-dieu-de-pitié" montre à l'intérieur la date de 1662, sans qu'on sache si elle correspond à l'année de construction.

23 • MERCY-LE-HAUT - Meurthe-et-Moselle • image

D'après Pierre Simonin, le "bon-dieu-de-pitié" de ce village serait à Nancy.

24 • METZ - Moselle image

L'église Saint-Martin montre, au fond de la nef, un Ecce Homo de petite taille, en pierre. (cf. post-scriptum page 39).

25 • MONT-DEVANT-SASSEY - Meuse image

Bois - hauteur : 90 cm.

Voisinant avec diverses statues précieuses, dont une splendide Vierge-à-l'enfant romane à la polychromie écaillée, dans la crypte d'une église prestigieuse, ce Christ chargé de liens volumineux nous éloigne autant par la facture que par la géographie des styles du secteur Thionville-Briey

26 • MOUTIERS - Meurthe-et-Moselle image

Pierre calcaire - hauteur 145 cm.

Manteau très étalé sur le banc. Type complètement à part, quoique du XVIe siècle aussi : c'est le seul "dieu-piteux" sans couronne d'épines. Avec celui de Boudrezy, c'est aussi celui qui évoque le plus intensément les survivances ou les résurgences gothiques. A été placé sous l'auvent de l'entrée de l'église dite des mineurs. Le nez a été restauré de façon malheureusement trop visible, les bras ayant eu également à être remis en place.

27 • MOYEUVRE-GRANDE - Moselle • image

Pierre calcaire - hauteur : 145 cm.

Ample manteau sur le siège. A conservé, comme à Bazailles, les épines en bois de la couronne - particulièrement volumineuse ici - sous les épaisseurs de scories sidérurgiques venues de l'usine proche, malgré l'auvent qui l'abrite en même temps que plusieurs autres statues, contre le mur gauche extérieur de l'église actuelle.

28 • NEUFCHEF - Moselle image

Pierre calcaire - hauteur : 125 cm.

Exposé aux intempéries au fond du cimetière, flanqué d'un Saint-Denis, patron de la paroisse, de la même veine et du même format. Doigt mutilés à la main droite.

29 • NOVEANT - Moselle image

Plâtre - hauteur : 160 cm.

Deux doigts cassés à la main droite. Placé au fond de l'église, à gauche.

30 • OEUTRANGE - Moselle • image

Pierre calcaire - hauteur : 150 cm.

Traces de polychromie. Couronne d'épines et cordes brisées. Poteau de torture brisé, un morceau gisant à l'arrière du groupe. Manteau largement étalé sur le siège. Placé contre le mur d'enceinte de l'ancien cimetière, à droite de l'église.

31 • PIERREVILLERS - Moselle image

Pierre calcaire polychrome - hauteur : 155 cm.

A encore en main le roseau que la plupart des dieux-piteux tenaient, à en juger par la disposition de leurs doigts. Se trouve au pied de l'autel de droite de l'église gothique à deux nefs du village, qui appartint aux templiers. La date d'exécution de la statue figure sur le socle : 1533. Le poteau de torture est déposé à l'extérieur de l'église, proche de l'abri destiné autrefois au "bon-dieu-de-pitié", appuyé à un contrefort, du côté gauche.

32 • RANGUEVAUX - Moselle image

Pierre calcaire - hauteur : 140 cm.

A trouvé place dans un oratoire spécialement édifié dans le cimetière. Manteau étalé sur le siège comme de coutume. Complet avec son poteau de torture - le plus haut - ce "dieu-piteux" intact peut être considéré comme le modèle de la série régionale, et d'autant qu'il est, on l'a vu, dans le village qui a pu abriter l'atelier du XVIe siècle d'où auraient pu sortir les effigies de même facture.

33 • ROMBAS - Moselle image

Pierre calcaire - hauteur : 155 cm.

Ce bel exemplaire, longtemps remisé dans le couloir du presbytère, a maintenant trouvé place dans le fond de l'église, à gauche. Bon-dieu et poteau sont intacts. Manteau déployé sur le siège.

34 • RONCOURT - Moselle image

Pierre calcaire - hauteur : 155 cm.

Sur un manteau largement jeté, c'est une effigie impressionnante, massive et réaliste qui, "dans son malheur exprimé à l'état brut", traduit bien la séculaire acceptation du serf méprisé. Si nous avons précédemment parlé de la dévotion au Christ-de-Pitié comme d'un culte "de tous les temps", c'est bien au regard de celui-là.

N'est pas daté, mais le linteau de la porte d'entrée du cimetière est marqué du millésime de 1554, qui pourrait bien être la date d'exécution du Dieu lui-même.

Une petite tête de mort figure à côté, servant d'appui aux nervures ogivales du plafond, dans l'oratoire de type roman qui abrite le "dieu-piteux" accolé au côté droit de l'église, dans le cimetière.

35 • ROSSELANGE - Moselle • image

Pierre calcaire - hauteur : 155 cm.

Dans la première version de ce répertoire, Adrien Printz avait noté : "exemplaire remarquable et bien conservé". C'était celui que montre la photographie n° 64, faite il y a une douzaine d'années. Depuis, et très récemment, nous n'avons pu que prendre la photographie n° 65 : un "bon-dieu" pitoyable, une jambe et les deux bras fraîchement cassés, et déposés en miettes à côté de lui, à l'entrée de l'église. Que s'est-il passé ? Simplement qu'on déplaça la lourde statue de quelques mètres pour construire une morgue devant l'église... Il ne reste plus qu'à admirer la technique de l'entrepreneur qui a monté autrefois à quinze mètres de haut le "dieu-piteux" voisin de Vitry - sans une égratignure... et à rendre hommage à la prudence des édiles et administrateurs responsables...

36 • SORBEY - Meuse • image

Polychrome, manifestement "décadent", à trois mètres de haut, sur le mur gauche, à l'intérieur de l'église.

37 • VITRY-SUR-ORNE - Moselle image

Pierre calcaire - hauteur : environ 160 cm.

Daté de 1540 sur le socle, il a été p^lacé dans une niche à une quinzaine de mètres de haut, dans la façade de l'église.

38 • VOLKRANGE - Moselle image

Pierre calcaire - hauteur : 150 cm.

Traces de polychromie. Se trouve remisé sous un auvent grillé attenant à l'église, du côté extérieur gauche, proche de l'entrée du cimetière, assis sur l'habituel manteau drapé.

39 • XIVRY - Meurthe-et-Moselle image

Pierre calcaire - hauteur : 150 cm

Se distingue par l'écartement plus important des genoux, la poitrine rentrée et le dos plat. Il est visible qu'il y a ici un art de la mutilation, où l'usure du temps se confond avec celle de la misère humaine.

POST - SCRIPTUM

Dans le cadre des investigations du Centre Lorrain de Recherches Humaines, J.-M. Petot nous a signalé une pietà à l'extérieur de l'église St-Eucaire de Metz. Nous avons pu vérifier que cette Vierge-de-Pitié, apparemment du XVe ou du XVIe siècle, domine l'emplacement du cimetière qui entourait autrefois l'église, et nous avons découvert que son rôle de protection des morts est symbolisé, comme à Avillers, par un crâne et un os long humains, ceux-ci côte-à-côte à la droite du groupe.

Ainsi nos hypothèses rencontrent le premier des nouveaux jalons que nous espérions en étudiant Avillers. Qu'il se manifeste à Metz prouve que la tradition dont il témoigne est à la fois urbaine et campagnarde.

LES PROBLEMES DES OSSUAIRES

Pourquoi le Bon-Dieu-de-Pitié est-il devenu le protecteur des ossuaires ?

De quand date la tradition des ossuaires ?

Pourquoi y exposait-on les ossements sortis des tombes, au lieu de les ré inhumer ?

Que signifient et d'où viennent ces étranges coffrets de Marville, où des têtes de morts semblent nous regarder ?

Il y a 30.000 ans, nos ancêtres préhistoriques avaient déjà rendu un culte à un crâne au fond d'une grotte.

Les Gaulois conservaient dans des coffrets les têtes de leurs ennemis marquants, et dans leurs sanctuaires de Roquepertuse et d''Entremont, des cavités étaient creusées dans des piliers pour recevoir des crânes humains.

Les Papous de Nouvelle-Guinée portent en colliers les crânes des ancêtres et s'en servent comme oreillers durant le sommeil.

Il n'y a pas si longtemps, on portait des crânes humains en procession dans certaines provinces autrichiennes.

Voilà quelques faits épars, glanés parmi bien d'autres témoignages, et qui ne sont pas sans rapport avec nos ossuaires et nos coffrets reliquaires de "chefs" humains.

Il eut été beaucoup trop long de développer dans ce recueil, qui se veut d'ailleurs strictement documentaire et iconographique, les commentaires et les interrogations que soulève ce sujet capital pour la religion et la sociologie historique.

La revue "Études mosellanes" (65, Grand'rue - 57, Moyeuvre-Petite), l'aborde dans son numéro 2 de décembre 1969, où André Lepape lui consacre son étude "La religion des crânes en Lorraine ?".

- Nous commençons à prendre conscience d'un pouvoir de l'artiste, présent dans la tête de Brassempouy quarante mille ans avant le Christ, et que nous retrouvons sur toute la terre. (Le musée imaginaire de la sculpture mondiale - p. 65).

- Tout rapprochement d'un grand nombre d'ouvrages d'un même style crée les chefs-d'oeuvre de ce style, parce qu'il nous contraint à en comprendre le sens. (Psychologie de l'art. Le musée imaginaire - p. 20).

- Le cadrage d'une sculpture, l'angle sous lequel elle est prise, un éclairage étudié surtout, donnent souvent un accent impérieux à ce qui n'était jusque-là que suggéré. (Idem - p. 24).

- Presque toutes les statues de l'Orient étaient peintes, et celles de l'Asie centrale, de l'Inde, de la Chine, et du Japon ; l'art de Rome était souvent de toutes les couleurs du marbre. Peintes les statues romanes, peinte la plupart des statues gothiques (et d'abord celles de bois). Peintes, semble-t-il, les idoles précolombiennes, peints les bas-reliefs mayas. Le passé tout entier nous est arrivé sans couleur. (Psychologie de l'art. La monnaie de l'absolu - p. 11).

- Dans le monde slave, l'idée que toute qualité artistique était liée à la stylisation était si marquée qu'on retrouvait celle-ci, mi-bysantine, mi-persane, jusque sur les boites de laque, et que les moules à gâteaux de 1910 semblaient des bois médiévaux ; mais la révolution russe, en réunissant les Christ-aux-outrages des provinces du nord, a fait apparaître, sous la civilisation orthodoxe, un art aussi différent des icônes que les calvaires bretons le sont de l'art de Fontainebleau, leur contemporain. (Psychologie de l'art. La création artistique - p. 51).

ANDRE MALRAUX

CONCLUSION POUR UN MUSÉE IMAGINAIRE

"MÉTAPHYSICIEN" DE L'ART, ANDRE MALRAUX a insisté sur les ouvertures et les éclairages nouveaux que procure ce qu'il a appelé le "musée imaginaire", c'est-à-dire le rassemblement sous un même regard d'images d'oeuvres dont les originaux sont dispersés et éloignés. Seul la photographie pouvait pleinement réaliser cette comparaison sans bornes. Au niveau de notre modeste essai artisanal de présentation d'un thème que nous croyons essentiel à notre histoire, c'est pour utiliser toutes les virtualités de cette technique que nous avons voulu ce recueil en feuilles libres, qui, indépendamment de toute mode bibliophilique, permettront la comparaison des clichés selon tout ordre et toute méthode que l'on voudra.

Parmi les diverses combinaisons qui peuvent organiser les photographies mobiles de ce recueil, nous avons retenu, puisqu'il fallait bien un ordre matériel, la succession alphabétique pour les représentations en grand format des statues. Par contre, nous avons cru devoir grouper les photographies d'ambiance et techniques selon des thèmes concernant l'environnement et les principaux caractères de cette statuaire.

Il eut fallu répéter exagérément certaines vues pour englober dans chacun de ces chapitres toutes les illustrations du thème sélectionné. Aussi avons-nous le plus souvent laissé au lecteur le soin de retrouver dans les photographies de grand format ou d'autres thèmes les détails groupés pour quelques statues. C'est ainsi, par exemple, que les "types de liens" rassemblés doivent être complétés, pour qui en voudra une perception exhaustive, par les Christ qui ne figurent pas dans cette sélection et qui se retrouveront ailleurs, ou que la date de la statue de Kédange se lira aux pieds du Christ dont on représente les liens et non pas dans le chapitre "dates".

Le lecteur pressé d'avoir une vue globale s'étonnera peut-être de nous voir nous appesantir sur de telles analyses. Il suffirait de dire que nous avons voulu être complets et précis, ce qui satisferait le spécialiste, et l'amateur ou le curieux méticuleux et scrupuleux. Mais c'est aussi pour rendre sensible l'atmosphère du thème et de son époque que nous avons répété les témoignages partiels et les détails. Qui n'évoquera, par exemple, la peine de tous les enchaînés du XVIe siècle en contemplant ces noeuds compliqués qui entravaient bras et jambes, reliés à ces anneaux dont l'archéologie retrouvera probablement ici ou là les témoins, tant il est évident que ces cordes et ces fers ont été minutieusement copiés sur le réel du temps, par des artistes dont tout le travail dit la préoccupation de "faire vrai"? Au fond, n'est-ce-pas ce naturalisme pointilleux qui nous attire vers ces "bon-dieux", où il s'allie charnellement à l'une des plus grandes tentatives spirituelles de l'humanité ? Nulle oeuvre artistique n'a peut-être fait autant ressentir l'audace de vouloir l'Incarnation du divin dans une aussi pitoyable chair et une si médiocre société humaine.

Les citations de Malraux par lesquelles nous concluons les textes de ce recueil visent, pour les premières, à expliciter les conséquences des possibilités données à l'homme moderne par le musée imaginaire. Les deux dernières abordant directement le thème du livre, qu'il nous suffise de les commenter brièvement.

Les statues anciennes parvenues sans couleurs : nous avons signalé, dans notre répertoire, lesquels de nos "bon-dieux-de-pitié" portent quelques traces de polychromie ancienne. Nous ne savons pas s'ils furent tous peints, bien que ce soit probable. Parmi ceux qui sont peints actuellement, si l'on écarte le trop récent (Sorbey) ou le trop récemment repeint (Kédange, Koenigsmacker), seul celui de Lommerange, dont les couleurs et les ors semblent anciens, montre qu'il y eut autant de différences entre les "bon-dieux" polychromes et les statues jaunes au calcaire maintenant apparent qu'entre les marbres blancs des musées et les statues grecques chatoyantes en leur jeunesse.

Malraux a publié des photos qu'il a prises de "Christ-aux-outrages" rassemblés à Novgorod, en Russie. Bien que d'un style populaire propre à ces régions, ces statues de bois étaient manifestement sculptées pour traduire et inspirer les mêmes pensées, sensations et sentiments que les "bon-dieux" de Ranguevaux ou Roncourt. Qu'à près de trois mille kilomètres de distance ce thème et cette préoccupation aient traversé toute l'Europe montre assez sa pérennité et l'universalisme de sa teneur. C'est assez dire combien il était urgent de créer et de faire connaître le musée imaginaire des "bon-dieux-de-pitié" lorrains ; combien aussi il importe d'en élucider les origines, avant que ne sombrent peut-être complètement dans l'oubli des temps ces témoins dont l'homme actuel comprend de moins en moins la signification.

Quant à notre conclusion photographique, loin de sortir du sujet, comme le croirait un regard superficiel, elle veut nous y enfoncer définitivement, en dressant le cadre, en recréant l'ambiance et en redisant la destinée du "bon-dieu-de-pitié". Montrer les tombes et les inscriptions funéraires, les simulacres de l'enterrement et du décharnement que ne craignaient pas de graver nos ancêtres ("tu es poussière"), les montrer tels qu'ils voisinaient avec le "bon-dieu-de-pitié", "dans l'attente de la Résurrection", c'est éclairer la destination de celui-ci, et montrer qu'il n'existerait pas tel quel sans le rôle funéraire et psychopompe qui lui a été confié. C'est mettre en pleine lumière, à une époque qui se cherche en hésitant une religion, comment les gens d'autrefois, dans le tréfonds du peuple, voyaient dans le Christ le pourvoyeur de salut éternel plus - dans son dénuement total - que le triomphateur de la Résurrection et de l'Ascension. Ou plutôt, c'est à cause de la Résurrection et de l'Ascension du Christ qu'ils en attendaient les mêmes phénomènes à leur usage propre. Et si l'on sculptait le Sauveur dans sa pire déchéance, plus humiliante que la Crucifixion qui, elle, avait un accent héroïque quasi inhumain, c'était bien pour le montrer semblable au plus misérable des hommes, et donc l'inciter à faire le voyage du ciel avec ses semblables, lui qui avait pu le faire pour son propre compte. Il n'est pas certain que le Christ-aux-outrages aurait si souvent été statufié s'il n'avait eu mission de conduire en Paradis. A travers les siècles, les foules humaines ont pris au mot sa promesse de faire survivre, entassant autour de ses effigies des monceaux d'ossements parce qu'elles ne concevaient pas la vie éternelle sans la résurrection des corps.

Depuis les lointains ancêtres, c'était toujours, en somme, la même angoisse de passer le Styx, préoccupation plus utilitaire et plus urgente que de chanter les gloires de l'Olympe ; que Charon ait changé sa barque et que les Enfers soient devenus Ciel et Paradis ne changeait rien à cette incertitude. Mais ne savons-nous pas, par maints autres exemples, que la religion des foules a été de tous temps bien plus la quête d'une assurance-mort très concrète - après les assurances-vie mendiées à tous les saints - que l'attente métaphysique du "Royaume de Dieu" ou du "Point Oméga"? C'est au niveau du "Dieu-Piteux" que le christianisme s'est le plus profondément et le plus largement inséré dans l'âme populaire européenne, et cela valait la peine d'aller l'y éclairer, avant les imprévisibles péripéties dogmatiques et culturelles des religions en gestation, à l'orée du troisième millénaire de l'ère chrétienne.



André LEPAPE