Le Bon-Dieu-de-Pitié en Lorraine


 

Ce texte était en tête de l'édition originale

 

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Préface de l'édition originale

par André Lepape

Ce livre vient de loin. Du fond des siècles, certes - et même des millénaires, on le verra - mais, plus près de nous, la revue "La Tour aux Puces" publiait dès 1958 les réflexions d'Adrien Printz préoccupé déjà par la statuaire des "Dieux-Piteux" , et les faisait précéder de la mention "Album à paraître avec un texte d'Adrien Printz et des photos d'André Lepape".
Cétait trop présumer des possibilités de deux bonnes volontés livrées à elles-mêmes, face aux investissements que nécessitait la reproduction de nombreuses photographies.
L'idée, si on la crut enterrée, en profita cependant pour faire cheminer ses racines dans le riche sous-sol de l'art mosellan. Elle en resurgit aujourd'hui, élargie, mieux servie qu'elle n'eut pu l'être plus tôt. Photographiés depuis une douzaine d'années, (cette durée a permis au garçonnet qui tournait autrefois autour du modeste objectif de son père de devenir le principal artisan de la série de clichés publiés), les Bon-Dieux-de-Pitié d'abord envisagés n'étaient que ceux du nord messin, et c'est sous le titre "Le Bon-Dieu-de-Pitié dans la région de Thionville-Briey" que la revue "Études Mosellanes" annonça la sortie proche du livre dans son numéro de janvier 1969.
Mais la documentation qui allait s'épaississant, les mille détours de cent routes ouvrant aux photographes des pistes nouvelles dans des contextes méconnus, et toute la lente maturation de l'œuvre, découvrirent finalement un domaine plus vaste que le cadre prévu. Aussi le projet initial devint-il plus ambitieux : il fallait plus d'un volume pour faire connaître les Dieux-Piteux repérés au long et aux environs de la Moselle. Au reste, de les avoir rencontrés, souvent oubliés, parfois délabrés, massacrés même, ce constat imposait l'obligation de les montrer tous, d'appeler l'attention sur les risques qu'ils couraient, de remettre enfin "en valeur" cette sculpture essentielle de l'art régional, devenue d'autant plus capitale qu'à la rareté des épaves surnageant l'oubli des temps et les destructions des guerres est venue s'ajouter la désaffection contemporaine d'une pastorale et d'une liturgie qui préfèrent remplacer par un vide que certains disent iconoclaste l'abondance imagière d'antan. Il ne fallait pas que le Christ-aux-Liens, thème essentiel de la religion traditionnelle durant quinze siècles, fut abandonné à un oubli plus profond encore, après l'indifférence où le XVIII e siècle commença de le rejeter,le trouvant peut-être d'un christianisme un peu trop chrétien .
Il nous a donc paru que le premier livre d'un éditeur qui s'est imposé de travailler au sauvetage de l'archéologie et de l'art lorrains ne pouvait être mieux choisi que celui-là, où se rejoignent la plainte d'une terre souffrante depuis des millénaires, et l'avertissement d'une histoire bien mal connue des hommes d'aujourd'hui, qui pourtant en dépendent étroitement. L'art lorrain ne pouvait avoir plus juste introduction à ce vaste dessein que ce livre, qui a donc désormais s'intituler: «Le Bon-Dieu-de-Pitié en Lorraine" et qui, si les Lorrains le veulent, se continuera par un second tome, puisqu'il reste au sud et à l'est de ce que nous avons appelé ailleurs la "Mosellanie", ainsi que dans le bassin meusien, d'autres Christ-aux-Liens qui attendent qu'on les tire de l'ombre, pour la sauvegarde de l'ART local et de la RELlGION ancestrale.
C'est sur ce mot que nous laisserons le talent évocateur d'Adrien Printz ouvrir cette suite d'images d'hier, "religion" venant de religare, relier. N'avons-nous pas, en ce siècle de changement permanent, plus que jamais besoin de nous relier à notre passé, ne lâchant pas le lien qui nous y rattache, sous prétexte de nous lancer avec confiance dans un avenir que nos ancêtres auraient jugé téméraire, s'ils n'avaient pu garder la main serrée sur ce fil d'Ariane - et pour eux ç'aurait peut-être été la corde des mains et des pieds du dieu-piteux de leur village ?